Chant Grégorien (1)
Simone
Veil (La Pesanteur et la Grâce) écrivait : "le chant Grégorien témoigne
autant que la mort d'un martyr !" Qui a pu rester indifférent à cette
musique affinée et colorée par la répétition pluri séculaire des pièces
liturgiques accompagnant et exprimant la prière chrétienne ; dans des
lieux aux confins du ciel et de la terre comme au Mont St Michel ou
Solesmes le chant Grégorien continue d'émerveiller et de pousser à la
contemplation...
Tout jeune, élève d'un alumnat bénédictin, chaque
jour de l'année qu'a duré le cycle de mes études, au milieu des moines
et avec mes camarades de classe, j'ai été baigné dans cette musique
entendue puis écoutée mais aussi pratiquée : j'avais à peine dix ans
quand seul au milieu du choeur des moines j'ai chanté la première
lamentation de Jérémie au premier nocturne de l'office des ténèbres du
Jeudi Saint.
J'apprenais avec une vrai passion les hymnes que nous
chantions, nous les enfants, en alternance avec les moines, les versets
de graduels...
J'ai encore dans l'oreille et il m'arrive de les
chanter quand je suis seul en voiture le puissant offertoire du 2° ou
3° Dimanche après l'Epiphanie "Jubilate Deo" lieu d'un crescendo
fabuleux qui emportait avec lui les choristes et tout le choeur ; les
introïts de l'avent et du carême donnaient si bien la tonalité du temps
liturgique en début de l'office : le Gaudete et le Laetare, trêves de
joie au milieu de l'avent et du carême quand pour un dimanche les
ornements des Prêtres viraient du violet au rose ..
Après la fin des
offices et dans ce silence du monastère tellement plein de Présence,
les murs resonnaient longtemps des mélodies dont au fil des jours ils
semblaient s'impregner..
Tous les soirs, dans la chapelle plongée
dans la nuit car nous savions tous les psaumes et hymnes par coeur le
"Te lucis ante terminum" de complies puis l'hymne marial, (j'avais un
grand faible pour celui du carême (ave regina coelorum) sous sa forme
simple comme sous sa forme festive, nous préparaient à un sommeil
paisible et réparateur..même si les paillasses étaient un peu dures !
A
Noël et à Pâques nous restions au monastère et ne partions en vacances
qu'après les Vêpres : à la fin du Salut du Saint Sacrement, il restait
une petite antienne pour clore la fête que nous chantions evidemment
sur le rythme endiablé du sentiment d'être déjà en vacances :"Ecce
nomen domini Emmanuel" à Noël, l'extraordianaire "Salve festa dies" de
Pâques dont nous atteignons sans soucis les aigûs des couplets ...
devant les moines souriants et qui eux, resteraient là...!
Que
disait tous ces beaux textes portés par leurs mélodies ? C'était du
latin, du latin pas très facile il est vrai pour nous qui n'avions que
quelques rudiments ; les textes écrits dans des genres très poétiques
faisaient références à des faits, des evenements, des personnes qui
nous restaient encore étrangers...
Plus que le sens littéral des
mots, c'est l'ambiance, la qualité de l'esthétique, la façon dont nos
maîtres nous poussaient au perfectionnisme dans le chant, la véritable
jouissance qui était la nôtre de participer avec autant d'engagement à
la beauté de la Liturgie...Tout cela nous situait dans un au-delà des
mots plus riche sans doute que leur signification.
Oui, comme la
beauté des cathédrales et des petites églises Romane, comme la slendeur
des icônes orientales ou la richesse des fresques de Giotto et des
autres, l'esthetique, le beau nous transportent incontestablement au
delà de nous-même dans le grand champ du Tout-Autre et de l'Altérité...
Pourtant,
hier, j'ai lu le texte, certainement remarquable à certains égards, de
l'exhortation de Benoît XVI sur l'Eucharistie ; j'y ai lu ses
recommandations pour un retour au latin et au chant Grégorien et entre
les lignes son agacement pour les musiques pratiquées dans la liturgie
depuis le Concile...Alors j'enrage !!
Ce soir il est tard, je
continuerai la saga du "Grégorien" telle que je l'ai vécue dans les
prochain jours et j'essaierai de vous dire pourquoi "j'enrage" !