hant Grégorien II
Après les années passées dans l'ambiance feutrée de
l'"abbaye" je suis externe dans le collège catholique de ma ville et
habite avec mes parents.
A la paroisse, le Dimanche, la messe
chantée était à 11h et présidée par l'Archiprêtre tout de violet vêtu
elle était animée par une "schola" qui du haut de la tribune entrainait
l'assistance..
La place du Grégorien était déjà bien réduite :
certes on chantait encore le "Kyriale" de la messe des anges et tout le
monde donnait de la voix...mais pour le reste c'étaient des cantiques à
valeur très inégales vestiges d'une "mission" ou composés (parole et
musique) par l'un ou l'autre Prêtre qui dans le diocèse avait la
réputation d'être musicien..
Sortant frais et moulu du monastère, je
demandais aux Prêtres de la paroisse que je cotoyais pourquoi on ne
chantait pas davantage de Grégorien..Trop difficile disaient ils..il
faudrait beaucoup de temps et de travail pour que de toutes façons seul
un petit groupe puisse arriver à un niveau suffisant ; on était à la
fin des années 50, des éléments de réformes avaient été mis en oeuvre
dans la liturgie : introduction de traductions françaises des textes,
refonte de la liturgie de la semaine sainte...: le souci de ces Prêtres
étaient que l'assemblée liturgique participe le plus possible au chant
et par ailleurs ils avaient incontestablement le souci de la qualité de
la liturgie dans son ensemble et du chant en particulier.
Dans
certaines paroisses, l'assemblée des fidèles ne pouvant entrer
valablement dans le chant des pièces du Graduel, ce rôle était confié à
des "chantres"...Sans doute y en avait il des bons ! Mais ces braves
personnes qui pratiquaient le chant Grégorien depuis quelquefois des
décades l'avaient complètement défigurés.
Chaque année le jour de
l'Adoration, ma grand mère allait jouer de l'harmonium dans la paroisse
d'un ancien vicaire de chez nous ; elle m'emmenait et je me souviens de
ces eructations du chantre dans lesquelles il aurait fallu entendre le
"Cibavit" (Introït de la messe du Saint Sacrement) qui avaient pour
seul effet de faire vibrer les toiles d'araignées de la voûte et
mettaient ma grand mère qui essayait d'"accompagner" dans des états de
colères comme seuls des musiciens peuvent en connaître.
Dans la
paroisse de ma grand mère, l'assemblée liturgique était nombreuse et
extremement participative : il y avait un tel volume de voix que l'on
avait peu à peu laissé de côté la traditionnelle messe des anges pour
chanter les messes de Dumont qui permettaient davantage aux voix de se
lâcher...et vraiment c'était impressionnant ; certes, la prononciation
du latin était massacrée, personne ne percevait quoi que ce soit du
sens des paroles chantées, mais il y avait là quelquechose de très fort
et de plein où tout le monde se sentait partie prenante.
Dans ces
années là où peut être une envie de plus grande authenticité dans la
liturgie, ses signes ses paroles et ses musiques se manifestait
davantage, le curé de la paroisse, pas très musicien il est vrai, ma
grand mère qui tenait l'harmonium, mon oncle et mon Père qui étaient un
peu connaisseurs essayaient de reintroduire du "vrai grégorien" pour
les grandes fêtes..Je me souviens de ces soirées interminables où les
braves gens du village volontaires étaient initiés à la lecture des
neumes, des salicus, porrectus climacus et autres quilisma sans que
personne ne puisse bien les initier qui connaisse vraiment le
sujet...et avec beaucoup d'efforts (et de disputes) on arrivait
finalement à une bouillie sans forme à vous dégoûter pour la vie de
chanter du Grégorien..et en définitive, le curé demandait à mon oncle
de chanter en "solo" : il le faisait pas mal mais peut être les
personnes qui avaient travaillé et répété étaient elles un peu
frustrées...
Une pensée sacrilège traversait mon esprit (moi qui
était fana de Grégorien) Et si les personnes qui étaient là à longueur
de soirées à passer du temps pour essayer de sortir quelques notes
convenables avaient passé le même temps à s'instruire et à réfléchir
sur leur vie de Foi ?
Le curé de l'époque qui gonflait les ballons
avant les match de foot, qui passait triomphant dans la rue devant la
clique (fanfare) du patronage et restait des soirées entière à
travailler son Grégorien puis d'autres soirées encore à essayer de
faire chanter les autres n'aurait il pas pu prendre un peu de tout ce
temps pour animer des groupes de formation ou de reflexion et ainsi
nourrir la Foi de ses ouailles ?
Déjà, à cette époque, je me posais
des questions et me demandais si il ne fallait pas accepter des
évidences et chercher pour l'animation de la liturgie et la
participation des fidèles..autrechose que le Grégorien..
Heureusement,
il y avait le collège : nous étions deux cents élèves, il y avait vingt
prêtres dans le corps professoral parmi les quels deux professeurs de
musique et de chant ; ils avaient formé un groupe, la "schola" où on
faisait du travail presque d'aussi bonne qualité que chez les moines ;
la schola animait la messe dominicale et son Grégorien était de
qualité..pourquoi ne pas avouer que j'y prenais plaisir ! C'était
beau..à ceci près que si la vingtaine d'entre nous qui chantait après
avoir été selectionnée..les autres écoutaient ou du moins étaient
sensés écouter...
C'est alors qu'en plus des cantiques traditionnels
souvent héritiers d'une mystique un peu hermétique bien qu'ils étaient
en Français, le prof de chant nous fit connaître les premieres
composition de Lucien Deiss ; ce prêtre, religieux spiritain était
aussi spécialiste de la Bible et il proposa aux assemblées liturgiques
des compositions polyphoniques (ou non) reprenant les textes
liturgiques, les psaumes, traduits non seulement du latin mais pour la
plupart des langues bibliques (Hébreu et Grec)...Ces musiques étaient
riches, pouvaient être avantageusement accompagnées par les orgues mais
aussi des instruments d'orchestre..L'alternance de couplets et de
refrains permettait de maintenir le niveau de qualité (couplets
éventuellement chantés par des groupes plus réduits et mieux formés,
refrains chantés par la foule)...
Il m'apparaissait de façon
incontestable qu'il y avait dans ces compositions une grande richesse :
possibilité d'enrichir la liturgie et peut être améliorer sa beauté,
possibilité d'une vraie catéchèse à partir des textes chantés, et
forcément participation plus consciente des fidèles ... grâce aussi au
chant...
Peut être dans les années qui ont suivies a t on introduit
dans la liturgie des chants et des musiques qui aujourd'hui ne plaisent
pas à Benoît XVI...(nous en parlerons plus tard) mais avec Lucien
Deiss, Joseph Gelineau dont le travail sur le psautier a été
exceptionnel, David Julien, Alexandre Lesbordes autour de Lourdes, Dom
Clément Jacob et quelques autres les assemblées liturgiques ont eu à
leur disposition des musiques et des chants d'une très grande
qualité esthétique en même temps que d'une profondeur spirituelle
propre à mieux éduquer et nourrir les fidèles, à leur permettre de
chanter des mots et des phrases proches de leur vie, de leur expérience
humaine..