Zoltan : Le monde "gangue" du "minerai " de la Foi ?
Zoltan : Le monde "gangue" du "minerai " de la Foi ?
Il s'appelait
"Zoltan", un bon slave qui ne cessait d'être grand tellement au dessus
de sa soutane de Jesuite son front n'en finissait pas, à peine
circonscrit d'une chevelure toute symbolique..Il était professeur à
l'Université Grégorienne à Rome chargé d'enseigner ce que l'on appelait
alors le "De Deo Creante", c'est à dire la doctrine catholique à propos
de la Création...
Nous étions dans les années qui suivaient de près
la dernière session du Concile Vatican II : Zoltan avait un collègue,
jésuite également, aussi massif que lui était fin et quand on les
voyait remonter de la fontaine Trevi vers la Grégorienne on pouvait se
demander s'il ne s'agissait pas d'une autre version de Laurel et Hardy..
Trêve
d'irrespect pour ces deux théologiens travailleurs et clairvoyants :
dès cette époque et non sans mérite, ils se mettent d'accord, Zoltan
pour abandonner de "de Deo Creante" et Mauritio (c'est le prénom de
spon compère) pour abandonner le "De Gratia" ; le "de Gratia" est un
corps monumental de doctrine catholique, de recherches et de
controverses théologiques autour de la grâce de Dieu accordée à
l'homme, du Salut, de la Justification et autres sujets brûlants depuis
les débuts de l'histoire de l'Eglise à propos du devenir de tout un
chacun et de la valeur de ses mérites dans la perspective du salut ou
de la damnation eternelle..
Nos deux compères décident donc d'en
terminer avec leurs "traités" traditionnels et de les refondre dans un
enseignement commun qu'ils appellent :"anthropologie
théologique"..induisant par là une reflexion approndie sur les
relations entre la Création et la Redemption, le monde et la grâce et
de toutes façons remettant en cause la dureté de certaines expressions
binomiques pour mettre en valeur la cohérence d'un dessein unique
s'exprimant tout autant dans l'oeuvre de Création que dans l'oeuvre de
Redemption...
Dans cet interminable parcours ferroviaire qui me
menait en ce mois d'octobre 1967 de ma région d'origine vers Rome où
j'étais envoyé pour poursuivre mes études, je pensais à ce dernier
entretien avec celui qui jusque là était le responsable de mes études :
"Michel, tu vas étudier à Rome..c'est bien, tu as de bonnes bases, mais
veille à travailler beaucoup du côté de la "Création""... je me
demandais ce qu'il avait bien voulu dire, d'autant que j'avais étudié
le traité de la Création dans le séminaire de mon diocèse et qu'à
l'examen j'avais eu une très bonne note...
Pourtant, j'étais bien obligé de reconnaître que je n'avais pas compris grand chose...
A
l'arrivée à Rome, c'est l'inscription à l'Université Grégorienne :
ceux, qui comme moi ont commencé leur théologie ailleurs, sont
dispensés des "traités" qu'ils ont déjà étudiés...et me voici donc
dispensé du cours sur "la Création"...
Après les matinées de
cours, nous rentrions vers le Séminaire Français en traversant la via
del Corso et la place du collège romain en conversant de façon souvent
passionnée à propos des cours que nous venions de suivre...et j'étais
frappé de l'enthousiasme de Jean pour les cours de Zoltan...qu'il avait
l'air de trouver "clairs" !!!
Après les trois premières heures de
cours de la matinée, la quatrième heure était consacrée aux
"colloques": les élèves qui le souhaitaient venaient et le professeur
dirigeait une conversation autour des thèmes enseignés dans les
périodes précédentes...
Ce jour-là, je m'étais laissé convaincre par
Jean et bien que "dispensé", je m'étais permis d'assiter au cours de
Zoltan et de rester au "colloque"...
Descendu de sa chaire au
milieu de l'allée, Zoltan pose la question (en italien)...avez vous
remarqué qu'à propos de l'état dans lequel l'homme est créé je vous ai
parlé de "socialitas" et non de "sociabilitas" avez vous compris
pourquoi ? quelle est la différence ?
La question génère sur cet
amphi où écoutent quelque deux cents étudiants, un silence qui n'en
finit pas ; dans ma tête une réponse surgit ..mais au milieu de tout ce
monde, après quelques jours à peine à Rome, comment puis je me risquer
à l'exprimer ? en latin ? en français ? en Italien ?...Finalement je me
lance et dans quelquechose qui se voulait ressembler à de l'italien je
dis : "la socialitas" est un fait, la "sociabilitas" est une
possibilité ...et ce brave Zoltan me fonce dessus : "justo !" "appunto
!" grazie (merci) ..l'homme est un être social non pas par choix ou du
fait de circonstances mais par nature de par la volonté du
Créateur....Je pense en un clin d'oeil aux gamins de Bidart que je
voyais tous les mercredis l'an dernier et à qui dans la ligne d'un
mouvement j'essayais de faire découvrir qu'ils vivaient beaucoup les
uns par les autres, je pense à certains de mes confrères que je
comprenais mal quand ils m'expliquaient que des ouvriers qui se
réunissaient voire se syndiquaient étaient davantage sur le chemin de
la vérité qu'en restant tout seuls...
Mais je n'ai pas le temps de
gamberger trop longtemps car Zoltan accouche d'une seconde question
:"Pourquoi nous soulignons ce fait de la "socialité" dans la
perspective de notre anthropologie théologique qui couvre aussi la
réflexion sur le salut en Jésus Christ ?"...
C'est de nouveau le
silence...et vite, j'ai encore envie de répondre !...je ne vais pas
tout de même jouer les vedettes..et puis ayant eu la chance de bien
tomber une fois, vais je risquer un camouflet ?? Le silence durant, je
me risque..."La socialité de l'homme n'est elle pas le fondement de
l'Eglise comme communauté de Salut"....Zoltan me refonce dessus à
nouveau : "justo" c'est sa "socialitas" qui prépare et ordonne l'homme
à l'Eglise : l'Eglise s'enracine dans la "socialitas" des hommes...!
Ce
moment aura été un grand moment de mon existence : par intuition ou
d'une façon plus profonde encore qui dépasse le raisonnement je
comprends en un instant qu'il y a certainement une unité et une
cohérence profonde entre création et salut, entre nature et grâce, et
dans tous ces binômes dont jusque là j'avais été culturellement averti
du fossé qui existait entre chaque terme et surtout pas d'un semblant
de cohérence...
Ce fut un grand moment pour moi, chacun peut le
comprendre, et je m'en voulais d'être de fait dispensé des cours de
Zoltan (vous ne repeterez pas que j'ai continué de les suivre au
détriment d'autres cours auxquels j'étais inscrit mais qui
m'intéressaient moins !)...
Après ce colloque, nous nous
retrouvons à quelques uns dans le hall : Zoltan vient nous rejoindre et
s'enquiert de nos origines, content de parler avec quelques français
:"C'est très important ce que nous avons dit ce matin, savez vous ?
surtout pour ceux d'entre vous qui auront la mission de fonder et
d'animer des communautés d'Eglise.."....La question me brûle, alors là
en petit communauté j'ose la poser : "Diriez vous que pour annoncer et
fonder l'Eglise il faille partir de l'expérience que font les personnes
de la socialité ? Les expressions de la "socialité" sont elles
inchoativement des expressions de l'Eglise ? Est il possible d'annoncer
l'Eglise en dehors de l'expérience de la socialité ?....
Derrière
ses doubles-foyers, les yeux de Zoltan pétillent :"Caro amico" me dit
il "je depasserais ma responsabilité en répondant à ta question..mais
cette question là, ne l'oublie jamais !!"
Plus tard, quand j'ai
participé avec beaucoup d'autres à cette énorme mobilisation pour la
catéchèse des enfants dans les paroisses, orchestrée par ces messieurs
et dames tout puissants à l'époque qui avaient eu la révélation de tout
à l'ISPC, que nous faisions réunions de catéchistes sur réunions
d'animateurs, de prêtres et religieux et religieuses de touts horizons,
que nous travaillions sur des dessins, des films, des diapos, des
instruments de musique et combien d'autres quincailleries...que nous
inventions et créions de toues pièces des groupes et des équipes
complètement étrangèrs à toute "socialité" réélle...,pour constater
quelques décades plus tard qu'il n'en reste rien qu'une tentative de
retour à quelques questions à apprendre par coeur..
...je me suis souvenu et me souviens encore de la reflexion de Zoltan : n'oublie jamais la question ! qui enrichie de l'expérience et du temps est devenue : Est il possible d'annoncer quoi que ce soit de la Foi sans en extraire le fondement et l'enracinement dans l'épaisseur de l'existence du monde...??